Beatles et bouddhisme

Allez, on entame la nouvelle année avec un sujet, « Beatles et bouddhisme », qui surprendra peut-être au premier abord. Au-delà du fait que ce sont deux thèmes qui me sont chers, les associer dans un même article peut sembler saugrenu. Je vais tâcher de montrer que ce ne l’est pas tant que ça. Ce qui m’a incité à explorer cette question est le fait qu’à deux reprises des chansons des Beatles ont été évoquées lors d’enseignements bouddhistes auxquels j’ai assisté. J’en profiterai pour m’attarder un peu sur quelques-unes de mes chansons préférées des Fab Four, qui sont d’ailleurs toutes évoquées dans mon roman à venir, Beatlemaniac.

Strawberry Fields Forever et l’ignorance

Le premier rapprochement Beatles-Bouddha dont j’ai été témoin a eu lieu quand une enseignante a cité Strawberry Fields Forever, et les paroles « Living is easy with eyes closed, misunderstanding all you see », comme une illustration de l’état d’ignorance dans lequel nous vivons. Selon le bouddhisme, l’origine de toute notre souffrance est notre ignorance, c’est-à-dire notre perception erronée de la réalité et de la façon dont nous existons. C’est la deuxième des Quatre nobles vérités (https://studybuddhism.com/fr/les-fondamentaux/qu-est-ce-que/qu-est-ce-que-les-quatre-nobles-verites), le premier enseignement du Bouddha. Une autre phrase de la chanson, « Nothing is real », peut aussi faire penser à la vision bouddhiste selon laquelle la réalité ne nous apparaît pas telle qu’elle est.

Cette convergence semble cependant fortuite, car en fait Strawberry Fields Forever évoque des souvenirs d’enfance de Lennon. Strawberry Fields était une résidence de l’Armée du salut de la banlieue de Liverpool où le jeune John aimait jouer. Signalons au passage que la chanson sortit sur le même quarante-cinq tours que Penny Lane, formant le double single le plus sensationnel de l’histoire de la musique pop. Paradoxalement, il n’atteignit pas la première place du hit-parade britannique, devancé par une ballade sirupeuse de l’obscur Engelbert Humperdinck. Ces deux morceaux, consacrés au Liverpool de leur enfance, illustraient une nouvelle fois l’extraordinaire complémentarité du duo Lennon-McCartney : la mélancolie plaintive et poignante de John, combinée à la brillante euphorie de Paul. George Martin, leur producteur, ne s’est jamais pardonné de les avoir retirés de l’album Sgt. Pepper’s sur lequel ils étaient destinés à figurer.

Revenons à Strawberry Fields Forever qui constitue une combinaison rare de succès populaire et de sophistication expérimentale. C’est, pour moi, la chanson pop ultime. Engagé dans une compétition avec les Beatles par albums interposés, Brian Wilson, leader des Beach Boys, rendit définitivement les armes après l’avoir écoutée pour la première fois sur son autoradio. Vous pouvez la redécouvrir avec le lien ci-dessous.

Remarquez comment les arrangements changent subitement au bout d’une minute, la chanson étant un assemblage de deux versions différentes. Une première partie planante avec mellotron (un ancêtre du synthé) et guitares, une deuxième partie pseudo-classique plus sombre avec quatre trompettes et trois violoncelles.

I Am The Walrus et l’interdépendance

Quelques semaines après l’évocation de Strawberry Fields Forever, le responsable de mon centre de Dharma (le Dharma s’entend ici comme les enseignements du Bouddha) a fait le rapprochement entre le début de I Am The Walrus, « I am he as you are he as you are me and we are all together » et la notion d’interdépendance, un élément central de la philosophie bouddhiste. Alors que nous avons l’impression que les choses et les êtres existent par eux-mêmes, séparés de tout le reste, le bouddhisme insiste sur l’interconnexion et l’interdépendance qui les lient.

Connaissant la genèse de I Am The Walrus, on peut avancer que comme pour Strawberry Fields Forever il n’y avait aucune allusion volontaire au bouddhisme de la part de Lennon. Cette chanson pop surréaliste, empruntant à la fois à la musique classique et à l’avant-garde, fut la première enregistrée après la mort du manager des Beatles, Brian Epstein, et l’arrêt définitif de leurs tournées. Un poème de Lewis Carroll, The Walrus And The Carpenter (Le morse et le charpentier), fournit le titre, mais le morceau résulta de l’assemblage de trois bouts de chansons. L’une des idées de base de Lennon était d’écrire les paroles les plus confuses possible, par défi, après avoir appris qu’un professeur d’anglais de son ancienne école de Liverpool faisait étudier leurs chansons à ses élèves. Certains vers étaient des réminiscences de prises de LSD ou de vieilles comptines et le côté obscur du texte se voulait aussi une parodie de Bob Dylan. Pour la musique, c’est le son d’une sirène de police qui a inspiré les premières notes. Lorsque John fit découvrir I Am the Walrus aux autres Beatles, ils restèrent perplexes. Un brin agacé, le producteur George Martin aurait dit : « Que diable veux-tu que je fasse avec ça ? ». Et pourtant, la chanson allait lui fournir l’occasion de réaliser l’une de ses meilleures orchestrations avec seize musiciens classiques et seize choristes. La voix de John fut distordue au maximum et on bourra le morceau d’effets sonores. Les extraits discontinus du Roi Lear, acte IV, scène 6, audibles vers la fin, furent enregistrés au hasard et en direct au moment du mixage, lors d’une retransmission de la pièce par la BBC. Le résultat est bluffant. Complexe et énigmatique à souhait, I Am the Walrus continue à déconcerter plus de cinquante ans plus tard, comme si elle cachait un insondable mystère. Peut-être la clé de la compréhension de l’interdépendance…

Tomorrow Never Knows et le Livre des morts tibétain

À ma connaissance, Tomorrow Never Knows est la seule chanson du répertoire des Beatles que l’on puisse relier dès sa conception au bouddhisme, même si c’est de façon détournée. En effet, elle est directement inspirée du livre des psychologues américains Timothy Leary, Ralph Metzner et Richard Alpert, The Psychedelic Experience, lui-même basé sur le Bardo Thödol, le Livre des morts tibétain (ou Livre tibétain des morts, suivant les traductions). Ce dernier est traditionnellement lu au mourant et au défunt pour le guider durant la transition (bardo veut dire « intervalle » en tibétain et désigne un état mental intermédiaire) entre la mort et une nouvelle naissance. L’ouvrage de Leary et al se voulait un manuel d’utilisation des drogues psychédéliques, telles que le LSD, destiné à guider les adeptes vers des états de conscience « mystiques ». Lennon était lui-même un gros consommateur de cette substance et plusieurs chansons des Beatles, dont Tomorrow Never Knows, en portent la trace.

Première chanson enregistrée lors des sessions de Revolver en 1966, Tomorrow Never Knows ne pouvait qu’apparaître en dernière position de l’album tant il faisait figure d’OVNI musical à l’époque. Extrêmement avant-gardiste, ce morceau d’inspiration indienne basé sur un bourdon de tampura, annonça le virage expérimental qu’allait prendre la production des Beatles en 1967, marquant du même coup un tournant dans l’histoire de la musique rock. Son enregistrement, à une époque où les équipements de studio britanniques étaient très rudimentaires par rapport à leurs équivalents américains, donna lieu à une multitude de prouesses, comme si les limitations techniques avaient décuplé la créativité des Fab Four et l’inventivité de leurs ingénieurs. Un son novateur fut mis au point pour la batterie entêtante de Ringo et on utilisa une cabine Leslie pour obtenir la voix éthérée de John censée imiter celle du « Dalaï-lama chantant depuis le sommet d’une montagne ». En plus du solo de guitare joué à l’envers et en accéléré, la chanson se caractérise par l’utilisation de différentes boucles sonores réalisées par McCartney à partir de bandes magnétiques saturées. Du sampling avant l’heure. Grâce à ce procédé, le rire de Paul fut transformé en ce qui ressemble à s’y méprendre à des cris de mouettes, devenus emblématiques de la chanson. Au final, Tomorrow Never Knows représenta une véritable révolution pour la musique pop, comparable selon le critique Ian McDonald à celle de la Symphonie fantastique de Berlioz pour la musique orchestrale.

Si vous ne la connaissez pas, car ce n’est pas un tube après tout, vous pouvez réparer cette lacune avec le lien ci-dessous. Est-ce que vous sentez l’influence du LSD ?

Les Beatles et les religions

Mais au fait, quel rapport les Beatles entretenaient-ils avec le bouddhisme et les religions en général ? Les quatre membres du groupe ont été élevés dans un environnement chrétien à Liverpool, catholique pour Paul McCartney et George Harrison, anglican pour John Lennon et Ringo Starr. En 1965, au sommet de la Beatlemania, ils se sont déclarés agnostiques comme un seul homme lors d’une interview à Playboy. À noter que cet unanimisme et le fait qu’ils semblaient tout faire ensemble, si caractéristiques des Beatles durant la première moitié de leur carrière, fera dire à Mick Jagger que le groupe paraissait un monstre à quatre têtes.

Par la suite, Harrison s’est passionné pour l’Inde et l’hindouisme, religion qu’il pratiquera dans la tradition Hare Krishna jusqu’à sa mort en 2001. Lennon a souvent affiché son rejet des religions établies (voir sa chanson God), mais déclara trois mois avant sa mort en 1980 son admiration pour l’absence de prosélytisme dans le bouddhisme. McCartney est resté agnostique, disant seulement croire en « quelque chose de bon ». Starr est redevenu croyant sur le tard et s’est récemment défini comme « un hindou chrétien avec des tendances bouddhistes », rien que ça.

Les paroles des Beatles entrent parfois en résonance avec le bouddhisme

Si, de toute évidence, les Beatles n’ont jamais affiché une grande proximité avec le bouddhisme durant leur carrière musicale, leurs chansons semblent parfois faire écho à la philosophie bouddhiste et vice versa. J’en ai eu la confirmation par hasard en visionnant récemment un enseignement vidéo de Pema Chödrön, une nonne bouddhiste américaine réputée. À un moment donné (deuxième vidéo à 2:50), elle interrompt son propos un peu alambiqué sur les bardos et l’impermanence (le fait que tout change tout le temps) pour dire : « On dirait une chanson des Beatles ». Puis elle éclate de rire et le public aussi. 

Dans un autre enseignement vidéo du même site (troisième vidéo à partir de 3:00), elle explique que quand les choses tournent mal, la recommandation est d’être conscient de comment on se sent et de laisser les choses telles qu’elles sont, « to let it be » en anglais. Voilà qui fait immédiatement penser à un autre tube des Beatles. Malgré le son d’orgue et l’évocation de Mother Mary (la mère de McCartney en fait, pas la Vierge Marie), le message de Let It Be (titre souvent mal traduit en français par « ainsi soit-il ») serait finalement plus bouddhiste que chrétien. C’est maintenant clair pour moi, les Beatles ont fait du bouddhisme sans le savoir, à l’instar du Monsieur Jourdain de Molière avec la prose. Cela pourrait expliquer ma double attirance pour les chansons des Fab Four et les enseignements du Bouddha, et justifie en tout cas pleinement que je les réunisse dans cet article.

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. J’espère vous avoir convaincus avec cet article sur le thème « Beatles et bouddhisme ». Peut-être vous ai-je fait aussi redécouvrir certaines de leurs chansons. N’hésitez pas à écrire un commentaire ci-dessous.

À bientôt,

Frédéric

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