Lettre d’un poilu : l’imminence de la mort

En ce centième anniversaire de l’armistice de 1918, le thème de la Première Guerre mondiale semblait incontournable. J’ai choisi de l’aborder en reproduisant ci-dessous la lettre d’un poilu, le soldat Charles Guinant. Régulièrement, je la donne à lire à mes jeunes élèves mexicains (avec celle du résistant Guy Môquet, rendue célèbre par Sarkozy), quand je veux les sortir de leur apathie. L’effet est garanti et il arrive même qu’ils versent une larme. Vue d’ici, la guerre de 14-18 semble à des années-lumière, un page d’histoire lointaine et mal connue. Les étudiants prennent souvent ce récit cru et sans ambages comme une gifle.

La dernière lettre du soldat Charles Guinant

Verdun,

Le 18 mars 1916,

Ma chérie,

Je t’écris pour te dire que je ne reviendrai pas de la guerre. S’il te plaît, ne pleure pas, sois forte. Le dernier assaut m’a coûté mon pied gauche et ma blessure s’est infectée. Les médecins disent qu’il ne me reste que quelques jours à vivre. Quand cette lettre te parviendra, je serai peut-être déjà mort. Je vais te raconter comment j’ai été blessé.

Il y a trois jours, nos généraux nous ont ordonné d’attaquer. Ce fut une boucherie absolument inutile. Au début, nous étions vingt mille. Après avoir passé les barbelés, nous n’étions plus que quinze mille environ. C’est à ce moment-là que je fus touché. Un obus tomba pas très loin de moi et un morceau m’arracha le pied gauche. Je perdis connaissance et je ne me réveillai qu’un jour plus tard, dans une tente d’infirmerie. Plus tard, j’appris que parmi les vingt mille soldats qui étaient partis à l’assaut, seuls cinq mille avaient pu survivre grâce à un repli demandé par le Général Pétain.

Dans ta dernière lettre, tu m’as dit que tu étais enceinte depuis ma permission d’il y a deux mois. Quand notre enfant naîtra, tu lui diras que son père est mort en héros pour la France. Et surtout, fais en sorte à ce qu’il n’aille jamais dans l’armée pour qu’il ne meure pas bêtement comme moi.

Je t’aime, j’espère qu’on se reverra dans un autre monde, je te remercie pour tous les merveilleux moments que tu m’as fait passer, je t’aimerai toujours.

Adieu

Soldat Charles Guinant

L’imminence de la mort

Ce qui me frappe le plus dans cette lettre est l’apparente sérénité avec laquelle le soldat Guinant raconte les événements qui ont conduit à sa blessure et le condamnent à une mort imminente. Il sait qu’il n’a plus que quelques jours à vivre et va droit au but, sans fioriture, pour faire ses adieux à celle qu’il aime et à son enfant à naître. Près de deux années de combats épouvantables marqués par des pertes humaines considérables expliquent sans doute le courage dont il fait preuve. Dans un tel contexte, la perspective de sa propre mort ne pouvait être repoussée dans un coin de sa conscience.

J’en profite pour reproduire ci-dessus une photo qui figurait dans l’un de mes livres d’histoire et qui illustre bien l’horreur de la guerre. Elle m’a toujours fasciné. L’objectif a figé le moment précis, durant l’assaut, où un fantassin français est stoppé net dans son élan par un projectile. Peut-être l’instant exact entre vie et trépas. En arrière-plan de ce décor apocalyptique, d’autres soldats courent entre les balles pour sauver leur peau qui ne vaut plus très cher.

L’inéluctabilité de la mort

Pour nous qui vivons en temps de paix et dans un environnement relativement sûr, la mort est loin d’être aussi omniprésente que dans les tranchées de 1914-1918. Il est plus facile d’oublier qu’elle nous attend au tournant et c’est ce que l’on s’efforce de faire généralement. Et pourtant, nous sommes tous en train de mourir. Chaque jour qui passe nous rapproche un peu plus de notre dernier souffle, quel que soit le temps qui nous en sépare. Si la mort n’est pas forcément imminente, elle n’en est pas moins inéluctable.

Dans le cadre de la pratique bouddhiste, nous sommes invités à faire face à la perspective de notre propre mort. Pas par masochisme, mais parce que la prise de conscience du caractère éphémère de la vie peut nous aider à l’orienter de façon plus bénéfique. Vivre mieux pour mourir mieux, en quelque sorte.

Puisse le soldat Charles Guinant avoir vécu ses derniers instants sereinement.

Frédéric

PS : Si le thème de la Première Guerre mondiale vous intéresse, je vous recommande de consulter les carnets de guerre de Frédéric B. (mon alter ego ?) que des élèves du Lycée Clémence Royer de Fonsorbes ont retranscrits sous forme de blog. Une belle initiative qui permet de redonner vie à ce jeune homme parti au front à 18 ans.

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